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Interview/ Lutte contre l’apatridie : Le juge Meless Essis (ONI) expose tout sur l’état-civil, le zèle des agents et lance un appel

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Interview/ Lutte contre l’apatridie : Le juge Meless Essis (ONI) expose tout sur l’état-civil, le zèle des agents et lance un appel

Magistrat de profession, chef du département état-civil et identification de l’Office national d’identification (ONI), le juge Meless Essis Jean-Yves a accordé une interview à Ivoirematin, le 23 janvier 2019, dans laquelle il fait des éclairages sur l’état-civil et la déclaration des naissances en Côte d’Ivoire, livre des pistes de solutions contre d’apatridie et surtout lance un appel aux Ivoiriens.    

En Côte d’Ivoire, on dénombrerait 700 mille voire plus de personnes apatrides ou à risque d’apatridie. Lorsqu’on parle de ce problème, toute de suite l’on pense aux étrangers. Est-il possible d’avoir parmi ces personnes concernées des enfants nés d’ivoiriens ou d’ivoiriennes ?

D’abord, je voudrais indiquer en me conformant aux conventions de New York que l’apatride est un individu qu’aucun Etat ne considère comme son ressortissant par application de sa législation. En somme, un individu dépourvu de nationalité. Pour revenir à votre question, je répondrai d’emblée non, puisque cet enfant né d’un ivoirien est lui-même ivoirien. Mais la personne peut être dépourvue de documents et s’exposer au risque d’apatridie. Dans la pure logique, si on sait qu’il est né d’un Ivoirien, il n’y a pas de risque qu’il soit apatride parce qu’il est rattaché à la Côte d’Ivoire de par ses parents.

Et si cette personne ne parvient pas à donner la preuve de sa filiation avec son parent, comment peut-elle échapper au risque d’apatridie ?

Le risque d’apatridie est plus grand lorsque cet individu est dépourvu de tout document notamment d’état-civil. Mais tout élément qui peut permettre de rattacher cette personne à une nationalité peut être pris en compte, notamment les preuves testimoniales. C’est-à-dire qu’elle apporte la preuve par témoignage que son père ou sa mère est d’ici, montre ses frères, demi-frères, ses tantes, ses oncles, etc. Par ce faisceau d’éléments, on peut démontrer qu’on est rattaché à la nationalité ivoirienne. Cependant, il faut bien avoir un acte d’état-civil. Et si la personne est dépourvue de cet acte, il y a des mécanismes qu’offre la loi sur l’état-civil qui permettent de s’en procurer. Notamment un par jugement supplétif. Il y a donc tout un arsenal juridique qui permet de prouver sa nationalité ou d’empêcher que celle-ci soit mise en mal.

Alors, quels sont les facteurs qui favorisent l’apatridie ?

Les facteurs sont multiples. Premièrement, l’apatride peut résulter d’une combinaison de lois entre plusieurs pays. Je vais illustrer cela à travers cette histoire imaginée. Un Pakistanais épouse une marocaine à Djibouti et les deux viennent vivre en Côte d’Ivoire où naît leur premier bébé. La loi pakistanaise dit par exemple qu’elle ne reconnaît pas la nationalité pakistanaise à un enfant né hors du Pakistan. Le Maroc dit que l’enfant de la Marocaine né d’un père étranger ne sera reconnu comme Marocain que s’il est né au Maroc. Et la loi ivoirienne dit que celui qui est né en Côte d’Ivoire est Ivoirien, sauf si ses deux parents sont étrangers, parce qu’ici on applique le droit de sang et non le droit de sol. Au regard des lois de ces trois pays, l’enfant qui est né en Côte d’Ivoire du Pakistanais et de la Marocaine est un apatride. Deuxièmement, il peut résulter d’une déchéance de la nationalité. Par exemple, je me suis allié à l’ennemi pour venir combattre mon pays la Côte d’Ivoire. Mon pays me déclare indigne de la Côte d’Ivoire et me déchoit de la nationalité ivoirienne. Du coup, je suis sans nationalité et donc je deviens apatride. On a un dernier cas qui est moindre. Il s’agit de la défaillance administrative, c’est-à-dire qu’on n’a pas nos papiers, ce qui constitue des cas de risque d’apatridie. Mais grâce à Dieu, heureusement, nous avons différents textes internationaux dont la déclaration universelle des droits de l’Homme qui indique que tout individu a droit à une nationalité. En Côte d’Ivoire, la loi sur la nationalité stipule en son article 3 que « les dispositions relatives à la nationalité ivoirienne, nationalité contenue dans les traités ou accords internationaux dûment ratifiés et publiés, s’appliquent même si elles sont contraires aux dispositions de la législation interne ivoirienne ». Donc tous ces textes peuvent nous permettre à brève échéance, avec l’effort des uns et des autres notamment le HCR, et la bonne volonté des Etats, de résoudre qualitativement le problème de l’apatridie.

Parlant d’état-civil, la loi ivoirienne accorde trois mois aux parents pour déclarer leur enfant. Passé ce délai, quelles sont les possibilités qui s’offrent à eux ?

Effectivement, la loi ivoirienne accorde trois mois pour les déclarations de naissance. Au passage, je voudrais indiquer que pour les déclarations de décès, le délai est de 15 jours. Ces délais ont été reconduits dans la nouvelle loi sur l’état-civil qui a été adoptée, la loi 2018-862 du 19 novembre 2018 relative à l’état-civil. Peut-être que les gens ne le savent, mais il y a une nouvelle loi sur l’état-civil. Alors si des parents n’ont pas pu déclarer leur enfant dans le délai de trois mois impartis, la loi prévoit des mécanismes pour rectifier le tir. L’article 13 de la nouvelle loi permet à l’officier civil qui refuse de recevoir une déclaration parce qu’hors délai, et il aura raison de le faire, d’adresser un rapport de la situation au procureur de la république dans un délai de 48h heures. Le procureur après avoir entendu les parents sur les causes de ce retard peut enjoindre l’officier d’état-civil de recevoir la déclaration. Ce dernier est alors tenu de dresser l’acte dans le délai et d’en délivrer copie. Mais si l’officier refuse de s’exécuter dans un délai de quinze jours, il y a des recours qui s’offrent pour l’obliger à dresser l’acte. En dehors de cela, la loi permet aux parents ou à la personne de saisir le tribunal à l’effet d’avoir un jugement supplétif de naissance.  Tous ces mécanismes sont prévus pour rattraper la non déclaration d’un enfant à l’état-civil. Avec la nouvelle loi, cette hypothèse qui n’est pas d’école sera de moins en moins constatée puisqu’elle inscrit de nouveaux acteurs dans l’état-civil qui sont des points de collecte communautaire, notamment des agents installés dans les villages les plus reculés, qui couvrent des campements et sont informés au jour le jour des naissances et des décès, les acte et les fait remonter jusqu’à l’officier d’état-civil. Quand cette loi va déployer tous ses effets à partir des décrets d’application, les choses iront de mieux en mieux.

On entend dire que toute personne témoin d’une naissance peut déclarer cet enfant. Comment cela peut se faire ?

La nouvelle loi reprend ce qui était dit dans l’ancienne loi. L’article 43 de cette loi dit que la déclaration de naissance d’un enfant peut émaner du père ou de la mère, de l’un de ses ascendants ou de toute personne ayant assisté à la naissance ou encore lorsque la mère a accouché hors de son domicile, par la personne chez qui elle a accouché. Lorsqu’on dit toute personne, ça peut être la sage-femme ou le médecin qui a assisté à la naissance. Evidemment, pour le faire, il y a des documents à fournir tels que le certificat médical de naissance, le carnet d’accouchement ou l’attestation délivré par l’agent de collecte. Cela ouvre le domaine des auteurs de déclaration et permet en cas de défaillance de l’un, que l’autre puisse prendre la relève. En somme, ce n’est pas un élément nouveau puisqu’il était prévu dans la précédente loi qui est de 1964.

Mais qui n’était pas pratiqué !

C’est vrai ! Elle n’était pas mise en œuvre du fait de la mauvaise pratique, parce que certains officiers d’état-civil, par un excès de zèle, refusaient catégoriquement de recevoir les déclarations de personnes même ayant assisté à la naissance. Je crois qu’avec les formations faites en amont, avant l’arrivée de la nouvelle loi et que nous faisons également après, ces pratiques vont s’estomper pour laisser place à ce qui est.

On parle du RNPP (Registre National des Personnes Physiques). En quoi est-ce que ce registre aidera à résoudre les problèmes de nationalité ou même d’apatridie ?

Le RNPP peut résoudre beaucoup de choses en ce sens que son rôle majeur est de donner à l’ivoirien, à chaque habitant ou chaque personne foulant le sol ivoirien, un numéro national d’identification qu’on appelle ‘’numéro unique’’. Le RNPP brassera large puisqu’il sera nourri par trois éléments : les flux migratoires, la base du titre d’identité et du titre de séjour, les bases sectorielles tels que les permis de conduire, les cartes d’assurance, tous les secteurs où il y a une petite trace d’identification seront reversés au RNPP. Mais la base nourricière du RNPP, c’est l’état-civil, car tous ceux qui sont nés ici et déclarés dans nos registres vont nourrir le RNPP. Toutes ces personnes qui seront captées par le RNPP auront chacune un numéro unique qui va les accompagner jusqu’à la fin de leur vie sur terre. L’avantage est que toute personne qui est sur le territoire ivoirien peut se faire identifier. Pour ce qui est de la nationalité, il faut dire que le RNPP n’a pas vocation à traiter les problèmes de nationalité, il est un registre d’informations sur les individus. Il peut résoudre le problème d’apatridie en ce sens que le RNPP permet d’identifier la personne pour dire qu’elle a un numéro donc qu’elle existe.

Un ivoirien qui a perdu tous ses documents, peut-il à travers le RNPP, se fait établir ses pièces dont un extrait de naissance?

Oui, oui, naturellement, parce que le numéro unique d’identification sera connu par la personne elle-même et par l’ONI qui est l’organisme en charge du RNPP. Et s’il arrive que cette personne enregistrée dans la base de données du RNPP perdait par extraordinaire tous ses documents, si elle n’a pas oublié son numéro unique, on peut tout reconstituer à partir de ce numéro.

Nous vous remercions monsieur le magistrat pour cette interview!

Le merci à vous qui permettez d’informer la population pour que l’on n’ait pas peur du mot apatride. La planète est un grand village et la sagesse africaine dit que si la case de ton voisin brûle, il faut le secourir de peur que les flammes ne s’attaquent à la vôtre aussi. Si on a des personnes qui sont à risque d’apatridie et qu’on peut les aider à recouvrer leur nationalité d’origine, pas forcément qu’elles deviennent des ivoiriens, [ou alors par les textes dont la Côte d’Ivoire s’est dotée pour permettre à des personnes de devenir ivoiriens], qu’on le fasse et qu’on n’ait pas peur de l’étranger. Il faut plutôt voir la richesse du pays. Quand on voit les pays développés tels que les Etats-Unis d’Amérique, c’est à travers un conglomérat de personnes qu’ils le sont. Qu’on n’ait pas peur du mot apatride, ce ne sont pas des gens qui viennent nous arracher le pain de la bouche. Ce sont des personnes qui cherchent à exister et le plus grand bien qu’on puisse faire, c’est de permettre que l’individu qui est comme vous puisse avoir une nationalité et avoir la protection de son Etat. Parce qu’en réalité, c’est cela le problème. Quand vous êtes apatrides, vous n’avez pas la protection d’aucun Etat.

 

 

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