Grand-Bassam : la jeunesse prise au piège des paris en ligne
De simple divertissement à fléau social, l'addiction aux jeux d'argent en ligne frappe de plein fouet les jeunes de Grand-Bassam. Face au chômage et à la promesse d'un "argent facile", des collégiens, des footballeurs et des professionnels se retrouvent pris dans un engrenage financier et psychologique dangereux.
À Grand-Bassam, la scène est devenue banale : des silhouettes, les yeux rivés sur leur smartphone, arpentent les rues, les terrasses de café, et même les établissements scolaires. Ils ne regardent pas une vidéo, mais traquent la "cote" salvatrice, le coupon gagnant qui, espèrent-ils, changera leur quotidien. Les paris sportifs en ligne (sur des plateformes comme 1Bet, MelBet, Betmomo, etc.) ne sont plus un passe-temps, mais une dépendance rampante qui s'enracine dans la jeunesse.
La mécanique de l'addiction est décrite comme redoutable par ceux qui en sont victimes. « Il est très facile d’entrer dans ce jeu, mais très difficile d’en sortir. Une fois que tu es dedans, ça devient une maladie », confie A. Berthé, un jeune parieur de la commune.
L'accessibilité totale est le premier levier. Quelques clics suffisent pour installer l'application et la connecter à un compte mobile money. La barrière à l'entrée est presque inexistante. Dans un contexte de chômage persistant et de pauvreté, ces plateformes exploitent la vulnérabilité en offrant un raccourci illusoire vers l'autonomie financière. On parie, on perd, et on recommence, poussé par l'espoir de "se refaire".
Le phénomène touche l'ensemble des couches sociales, y compris les plus jeunes. À 13 ans, Daniel, élève en classe de 5ᵉ, reconnaît être déjà pris dans la spirale. Son témoignage illustre l'effet yo-yo de l'addiction :
« Souvent quand je perds, j’ai envie de supprimer l’application. J’avais mis 5 000 francs, mon argent de la semaine. J’ai perdu dans les dernières secondes. Ça m’a fait très mal. Mais un autre jour, j’ai mis 150 francs et j’ai gagné 35 000. Quand ça arrive, tu oublies toutes les pertes… »
Même en classe, la concentration s'effrite. T. Hermann, élève en Terminale A2, avoue : « Même en plein cours, tu te surprends sur une application de paris. Tu as peur de rater le bon coupon. » Les mardis de Ligue des champions ou les week-ends de championnats européens deviennent des rendez-vous impératifs qui détournent les jeunes de leurs études ou de leur travail.
Donald, un coiffeur du quartier Phare, met en lumière les conséquences les plus graves :
« Souvent, même l’argent de la nourriture rentre dedans. Une fois, j’ai joué l’argent de la facture d’électricité. On a dormi dans l’obscurité. J’avais honte. C’est dangereux, mais quand ça marche, ça nous aide. Moi je supprime l’application et puis un jour je réinstalle… »
Les jeunes footballeurs, passionnés par leur sport et désireux de s'émanciper, sont une cible privilégiée. Dans les centres de formation, ils deviennent des analystes improvisés, tentés par des mises apparemment sûres : « Je n’ai pas beaucoup d’argent sinon je maîtrise.Le Bayern Munich, cette saison, 16 victoires consécutives. Quand tu veux parier, tu prends forcément leur victoire », explique Karamoko, un jeune joueur.
Le problème est d'autant plus préoccupant que l'entourage sportif est également concerné. E.K.A., un ancien joueur devenu formateur, l'admet : de nombreux sportifs amateurs et professionnels se tournent vers les paris pour compléter des revenus jugés insuffisants en Côte d'Ivoire. « Quand tu connais le milieu, tu penses pouvoir gagner vite », analyse-t-il, soulignant que cette pratique nuit à la crédibilité des formateurs.
Les conséquences de cette vague d'addiction sont multiples et alarmantes : baisse de productivité, décrochage scolaire massif, endettements, conflits familiaux, et même de petits vols pour réalimenter un compte mobile money.
Malgré le sponsoring intensif des événements sportifs par ces mêmes plateformes, la société civile tire la sonnette d'alarme. Le rêve du gain rapide se mue en désillusion, et parfois en cauchemar, transformant l'adolescent studieux en parieur compulsif. À Grand-Bassam, l'urgence est de taille : prévenir une jeunesse qui sacrifie son avenir au mirage du jackpot.
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