Alassane Ouattara, l'économiste devenu maître du jeu politique en Côte d'Ivoire
Économiste, opposant puis président: Alassane Ouattara a été réélu à 83 ans pour un quatrième mandat à la tête de la Côte d'Ivoire qu'il gouverne depuis 2011, au risque d'être accusé de confisquer le pouvoir par ses détracteurs.
En l'absence de Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam, les deux principaux leaders d'opposition écartés par la justice, Alassane Ouattara l'a emporté sans surprise au 1er tour avec près de 90% des voix, et 50% de participation.
Son entourage assure qu'il a hésité jusqu'au bout avant d'annoncer fin juillet qu'il se lançait dans la bataille "par devoir", et parce que sa "santé le permet".
Pour le prouver et balayer les critiques sur son âge, il a mené une campagne de terrain, avec meetings et rencontres à Daloa (centre-ouest), Bondoukou (est), Yamoussoukro (centre) et Abidjan, où il est apparu en bonne forme.
Archi-favori du scrutin, il n'a pas eu besoin de faire des tonnes de promesses pendant la campagne, se contentant de mettre en avant son bilan au niveau des infrastructures, un point fort de ses 14 années de pouvoir, et assurant vouloir "faire plus".
Avant l'élection, qui s'est déroulée sans heurt majeur, les autorités ont mis un tour de vis assumé en interdisant des manifestations de l'opposition pour risque de troubles à l'ordre public.
Leader incontesté de la majorité, ses partisans le qualifient de candidat "naturel", quand l'opposition l'accuse de "dérives autoritaires" et de choisir ses adversaires.
Alassane Dramane Ouattara (ADO) a longtemps tourné autour du pouvoir.
Après une longue carrière au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest (Bceao), il est appelé pour être Premier ministre en 1990 par le "père" de la nation ivoirienne, Félix Houphouët-Boigny (1960-1993).
Né à Dimbokro en 1942, dans le centre de la Côte d'Ivoire, M. Ouattara, musulman malinké (ethnie du nord) marié à une Française chrétienne, a accompli la majeure partie de sa scolarité au Burkina Faso voisin et a longtemps été désigné comme un Burkinabè.
A la mort de Félix Houphouët-Boigny, en 1993, sa nationalité ivoirienne est remise en doute par les tenants de l'idéologie xénophobe de "l'ivoirité".
En 2000, sa candidature à la présidentielle est rejetée pour "nationalité douteuse", puis la Côte d'Ivoire bascule deux ans plus tard dans une profonde crise politique qui coupe le pays en deux pendant quasiment une décennie.
Les partisans de M. Ouattara soutiennent une rébellion et contrôlent le Nord, face au pouvoir du président Laurent Gbagbo (2000-2011) qui tient le Sud.
La crise atteint son paroxysme lors de la présidentielle de 2010: cette fois M. Ouattara peut participer et l'emporte. La victoire est contestée par M. Gbagbo et la Côte d'Ivoire s'enfonce dans des mois de violences, qui feront plus de 3.000 morts.
Soutenu par la France, le camp Ouattara finit par s'imposer et Laurent Gbagbo est arrêté.
Devenu président, ce libéral francophile, adoubé par la communauté internationale, parvient à séduire les investisseurs qui reviennent rapidement en Côte d'Ivoire, où beaucoup est à reconstruire.
Si son bilan de bâtisseur est un point fort incontestable, les inégalités restent importantes, tout comme la corruption, et ses détracteurs lui reprochent un endettement incontrôlé (autour de 60% du PIB), ainsi que de profondes lacunes dans l'éducation et la santé publique.
Pendant son troisième mandat, Alassane Ouattara a aussi vu la situation sécuritaire au Sahel se dégrader, une des raisons qui l'a poussé à rempiler en 2025.
La Côte d'Ivoire doit désormais composer avec des voisins dirigés par des juntes militaires qui lui sont hostiles - en particulier le Burkina Faso - et dont les territoires sont infestés de jihadistes. Une menace qu'elle réussit pour l'heure à endiguer.
"L'Afrique a très peu de dirigeants comme Ouattara. Il a l'expérience, la sérénité, la connaissance du monde, c'est un interlocuteur essentiel dans la région", assure un proche du président.
Sur le volet de la réconciliation, peu de partisans du camp Ouattara ont été jugés pour les crimes de la crise de 2010-2011, mais après son acquittement définitif par la justice internationale, Laurent Gbagbo a pu rentrer en Côte d'Ivoire en 2021 et a été gracié.
Dans le jeu politique, le technocrate Ouattara est devenu celui qui dicte le tempo, mais il n'ira pas jusqu'à amnistier son vieux rival, le laissant ainsi hors course pour la présidentielle de 2025.
"Si on ne laisse pas aux autres la capacité de se battre pour être au pouvoir, ce n'est plus la démocratie", tance Laurent Gbagbo.
En 2020, Alassane Ouattara avait dit vouloir passer la main. Mais le décès de son dauphin, Amadou Gon Coulibaly, l'avait poussé à rempiler pour une élection qui sera marquée par des violences(85 morts), lors de laquelle il est réélu avec 94% des voix.
Depuis, M. Ouattara a souvent répété qu'il avait "une demi-douzaine de successeurs potentiels". Ils vont devoir attendre encore quelques années.
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