Reportage/Inceste, viol, violences conjugales... : Des survivantes racontent...
De l’inceste au déni de ressources, en passant par les violences conjugales, des centres d’accueil en Côte d’Ivoire sont les derniers refuges pour celles dont la vie a été brisée par les Violences basées sur le genre (Vbg). Derrière les murs apaisants de ces « Safe Homes », des femmes tentent de se reconstruire, loin de leurs bourreaux, mais jamais vraiment loin des séquelles de leur traumatisme.
Le Centre de prévention et d’assistance aux victimes de violence, Pavvios, situé dans la commune d’Attécoubé, malgré ce qu’il indique n'est pas un lieu de transit. C‘est un refuge, mieux, un sanctuaire de rétablissement. Un lieu où le temps se met en pause pour permettre la guérison et la reconstruction des femmes brisées, comme on assemble les pièces d’un puzzle.
Appelons-la Grâce. La petite princesse de 11 ans qui se rêvait Alice au pays des merveilles a vu fée Carabosse l’infliger de géniteurs pervers. Papa pasteur et son binôme de femme, inspirés par Satan plutôt que par la Bible, en ont fait un objet sexuel. La petite subit les assauts de l’homme dit de Dieu, sous les yeux de maman Ponce Pilate qui s’en lave les mains. Combien de fois ?
Grâce ne saurait le dire, perdue dans un cauchemar qui aboutira à un ventre rebondi pour son bassin immature. Quand une visiteuse du couple infernal remarque la détresse de la gamine, la génitrice évoque des ‘‘règles douloureuses’’. La pauvre était en réalité en travail avant l’heure.
La douleur des contractions lui fera d’abord raconter des scènes de l’inceste subi régulièrement, et la menace de ne point broncher au risque de mourir. L’accouchement est pénible. Le bébé, prématuré, est mis sous couveuse à l’hôpital Mère-Enfant de Bingerville. La gamine, suivie désormais par le Pavvios, est internée. Chaque jour, elle se rend avec les assistantes sociales à l’hôpital pour voir le bébé. L’enfant ne survivra pas.
Grâce, affaiblie et traumatisée, est prise en charge durant de longs mois, puis placée en famille d’accueil. Aujourd’hui, elle a repris l’école et aussi à sourire à la vie. Le couple diabolique, lui, a pris la clé des champs pour échapper à une action de justice. Mme Kouadio Félicité, directrice du centre Pavvios qui nous raconte le drame de Grâce, a, dans le regard, cette mélancolie des personnes qui côtoient au quotidien la misère morale. Fanta, une autre survivante, avait été conduite par des amies au centre.
Œil au beurre noir, visage tuméfié, côtes brisées, fuites urinaires, elle n’arrivait pas à se tenir debout et encore moins à marcher. Son Mohamed Ali de mari la prenait régulièrement comme son punching-ball et son corps avait gardé les marques de cette violence conjugale. Fanta n’a pas voulu porter plainte de peur d’être mise au ban de l’opprobre familial. Les soins dispensés par le centre ont permis à la jeune trentenaire de marcher à nouveau. Mais vers quel horizon?
Mon père a gâché ma vie
En ce mercredi du mois d’octobre 2025, Éléonore, 28 ans, qui en est la plus ancienne pensionnaire, nous accueille avec un demi -sourire. Son allure soignée et son visage impassible ne laissent rien transpirer de l’ampleur de ce qu’elle a vécu. Son histoire est celle d’une trahison, un coup de poignard dans sa chair et dans son âme.
L’abus sexuel perpétré par son propre géniteur a fait basculer sa vie dans l’horreur. En 2012, en effet, son père la fait venir du village à Abidjan. Eléonore a 13 ans et des étoiles dans les yeux devant celui qu’elle voit comme son sauveur. Au village, la vie est rude et les tâches les plus ingrates sont réservées à la petite orpheline. Papa arrive, Eléonore est en fête.
Une joie qui aura la durée d’un feu d’artifice. La veille de leur arrivée à Abidjan, dans la pénombre de la case, elle subit la première agression sans vraiment croire que cela puisse être son père. Puis, s’en sont suivis des assauts répétés et assortis des « tu vas mourir si tu parles » ; « on va nous mettre en prison » ; « tu vas continuer de subir les brimades au village... », des intimidations et menaces qui vont sceller la dénonciation et ouvrir la voie à une décennie d’abus. «La veille de notre arrivée à Abidjan, tard dans la nuit, il est entré et a fermé la porte.
Il faisait noir. Il m’a déshabillée, et mis sa main sur ma bouche pour que je ne crie pas. J’ai été d’abord tellement surprise, puis eu tellement peur que je n’ai pas pu réagir. Le lendemain, il m’a menacé de ne rien dire à personne au risque de rester au village où je subissais déjà des brimades.
Puis il a dit que je perdrais la vie si je parlais. C’est à la suite de ce premier viol que nous sommes arrivés à Abidjan. J’ai pensé qu’il avait eu un moment de folie et que cela n’allait plus se répéter. Mais non, ça a continué ; il a continué, continué », raconte-t-elle en tentant difficilement de contenir ses larmes. La dénonciation se fera à la suite d’une scène de jalousie du père libidineux dans le salon de coiffure où Eléonore s’exerce. Elle parle enfin, libérée de la chappe de son silence, de cette honte d’avoir été victime, honte de raconter et refus de la publicité et des ragots qu’aurait suscités cette ‘’affaire’’.
Depuis son cachot, l’agresseur finalement arrêté, tout en niant, la supplie de le ménager, lui promet de lui offrir un salon de coiffure si elle se dédit. Entre imprécations et promesses fallacieuses, Eléonore parvient à le piéger grâce à ses aveux au téléphone. On lui dit qu’envoyer en prison son père pour un tel crime est un châtiment exagéré. Elle retire sa plainte mais la justice fait son œuvre : l’incestueux, malgré les deux avocats qu’il prend pour sa défense est condamné à 20 ans de prison ferme. Eléonore, elle, sera ostracisée par la famille. Dix ans de viol par celui qui était censé être son protecteur, ça creuse un abysse.
Il faudra plus d’une année à un collège de psychologues et psychiatres pour sortir la jeune dame de sa torpeur. À Pavvios, une équipe pluridisciplinaire veille sur elle et la protège. Ces pères et mères de substitution lui ont prouvé, par un trésor de bienveillance, qu’il n’y a pas que des monstres dans la vie, même si le pardon reste encore comme un mirage de désert pour elle. Interrogée sur cette éventualité, la jeune femme ne répond que par un silence lourd, les yeux clos. Un mutisme qui en dit plus long que n’importe quel cri. À présent, Éléonore se forme en esthétique. Elle apprend la manucure-pédicure et le maquillage, mais aimerait bien pouvoir mettre le Make-up sur la profanation qu’elle a subie. Dans l’espoir d’une insertion rapide, dans l’espoir surtout de pouvoir dans un avenir très proche être la seule maîtresse de sa vie, elle s’applique.
Malgré la sollicitude du personnel de Pavvios, elle voudrait maintenant pouvoir voler de ses propres ailes. Eléonore, comme tant d’autres victimes des violences basées sur le genre, incarne la résilience, mais aussi la complexité des parcours de guérison. Pavvios n’est pas un cas ou plutôt un centre isolé. Depuis quelques années, l’État de Côte d’Ivoire en déploie d’autres, notamment à Bouaké, Korhogo et, plus récemment, à Adiaké où se trouve la Maison des Femmes ou Safe Home.
Myriam a tenté de mettre un terme à sa vie
Myriam, 20 ans, est à la Maison des femmes. Son physique frêle et sa voix fluette ploient sous le poids d’un témoignage ou plutôt d’un drame qui lève le voile sur un pan de la perversité de certains hommes. Abandonnée enfant, Myriam qui vivait au Bénin avait retrouvé son père via les réseaux sociaux en 2022, espérant une nouvelle vie à Abidjan. Elle y a trouvé un bourreau libidineux. Elle avait alors 17 ans. «Je vivais au Bénin, livrée à moi-même. C’était difficile. Pour m’insulter, on me traitait d’enfant abandonnée.
J’ai alors décidé d’effectuer des recherches sur les réseaux sociaux pour retrouver mon père qui vivait à Abidjan. Une fois retrouvé, avec son accord, j’ai pu le rejoindre assez rapidement. Dès mon arrivée ici, chez lui, il a commencé à abuser de moi et menaçait de me tuer si je le dénonçais », raconte-t-elle sa souffrance. Et de poursuivre: « Au début, je ne comprenais pas vraiment ce qui se passait. Je n’avais jamais entendu dire ni vu qu’un père pouvait ‘’sortir’’ avec sa fille jusqu’à ce que je sois enceinte de lui ». L’horreur s’est intensifiée lorsqu’elle découvre qu’elle ne voit plus ses menstrues.
Et comme un double supplice, le frère cadet du géniteur s’y met aussi. Père et oncle se font la passe sur le terrain de la lubricité avec comme ballon une fille-nièce médusée par la hargne des agressions répétées. Son visage est ravagé par un calvaire qu’elle a cherché à stopper. Trente minutes d’entretien n’ont pas suffi à Myriam pour vider son sac d’amertume. Chaque mot est arraché à la douleur, chaque larme, un refus de cicatriser. « Mon père a gâché ma vie », lâche-t-elle, effondrée. La suite de son histoire est une chronique d’une emprise paternelle déviante.
Arrêté, son géniteur depuis sa cellule aurait ordonné à son épouse de la faire avorter. Jetée à la rue, démunie, Myriam a tenté de mettre un terme à sa vie. « C’en était trop pour moi », dit-elle. L’attention bienveillante du Safe Home dont elle bénéficie maintenant est son seul antidote pour essayer de tourner cette tranche sombre de sa vie et d’oublier. La Maison des femmes d’Adiaké héberge également celles dont la misère s’est manifestée par le déni de ressources et l’abandon familial. Anne-Marie, 21 ans, chassée par ses parents est passée par l’errance et a connu la précarité de la rue. Sa survie s’est jouée dans les gares routières de Yopougon où elle vendait de l’eau.
Puis est né un premier enfant de père inconnu. Mise encore enceinte et sans ressources financières, Anne-Marie traînait avec son gosse dans les bras et dormait à la belle étoile. En septembre 2025, elle est retirée de la rue avec le petit garçon d’un an. À peine arrivée à la Maison des femmes, elle accouche de son deuxième enfant et est désormais prise en charge, intégralement. Logée, nourrie, soignée, elle suit des cours d’alphabétisation et se forme à l’onglerie au sein du centre. «Je portais les mêmes vêtements pendant une semaine. Mais aujourd’hui, vous pouvez le constater vous-même, je me porte mieux », confie-t-elle, le sourire large.
Je leur dis merci
Les conditions de séjour dans ces centres sont strictes, car elles visent à garantir la sécurité et la stabilité. Il est formellement interdit de détenir un téléphone portable, il est aussi défendu de sortir sans autorisation préalable. Ces règles, bien que contraignantes, sont acceptées comme le prix à payer pour l’abri et l’opportunité de se reconstruire.
Les témoignages de ces rescapées sont plus que des drames individuels. Ils sont les révélateurs d’une urgence sociale. Dans ces centres, l’objectif n’est plus seulement de soigner les blessures physiques, mais de réarmer ces survivantes Grâce, Éléonore, Myriam, Anne-Marie, Fanta et bien d’autres pour la vie, de leur donner les outils pour transformer leur statut de victime en celui d’actrice de leur propre destin. Une bataille qui ne fait que commencer. Prises totalement en charge, les femmes accueillies dans ces centres ont le droit d’avoir avec elles au maximum 3 compagnons d’infortune ou co-victimes.
Toutes se disent quelque peu soulagées du tourment dans lequel elles étaient empêtrées avant d’y arriver. « Avant d’être ici, j’étais dans un piteux état. Aujourd’hui, je vis bien et je suis satisfaite des conditions de séjour. Je ne paie ni eau, ni courant, ni nourriture. Je leur dis merci », dit Anne-Marie , reconnaissante, qui espère que désormais sa vie et celle de ses enfants prendront une trajectoire moins cahoteuse.
Envoyée spéciale à Adiaké
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Le moindre que l'on puisse dire, c'est que la Maison des femmes d'Adiaké ( Mafa) est bien visible. La plaque signalétique fond bleu et écriture en blanc qui indique le nom de ce centre d'accueil et d'accompagnement pour les victimes, survivantes et co-victimes de violences basées sur le genre ( Vbg) est à l'image de son intérieur: beau, sobre, et raffiné.
Quand on y pénètre, il y a comme une brise de bienvenue qui vous souffle, et les couleurs rose mauve, vert, bleu, rouge, jaune dont les infrastructures sont peintes sont agencées pour raviver l'espoir. La pelouse est impeccable et même les poubelles sont disposées pour participer au charme. Tout le cadre de vie est chatoyant, et l'accueil de la directrice Mme Lonfo et de ses collaborateurs, chaleureux.
Les équipements de grande qualité, et encore flambant neufs, témoignent de l'intérêt de la Mme la Première Dame Dominique Ouattara pour la cause féminine en général et surtout son combat inlassable contre les violences basées sur le genre..
Ce centre qu'elle a créé à travers sa fondation Children Of Africa et mis à la disposition de l'État par le truchement du ministère de la Femme, de la Famille et de l'Enfant ( Mffe) a été Inauguré le 10 avril 2025. Bâtie sur une superficie de 2 hectares avec une vue panoramique sur la lagune, au quartier Atadjé, la Mafa a été créée en 2024 avec comme spécificité sa classification en centre de services intégrés de référence et de transit de niveau 2.
Ce qui signifie que c'est une structure qui offre une gamme complète de services de santé, de protection et de soutien pour les survivants de VBG et les enfants vulnérables afin de les aider à se rétablir et à reconstruire leur vie. Dans cette perspective, la Mafa offre une prise en charge holistique qui se décline ainsi: l'hébergement, les prises en charge psychosociale, médicale, psychologique, juridique et judiciaire, la formation et l'autonomisation économique, activités récréatives, et enfin la réinsertion ou l'insertion socioprofessionnelle.
La Mafa a une capacité d'accueil de cent (100) lits dont 5 chambres individuelles pour survivantes à attention particulière ; 14 chambres familiales de 3 lits ; 14 chambres doubles avec 2 lits ; et 3 chambres dortoirs dont 2 de 6 lits et 1 de 12 lits.
La durée de séjour y varie de trois semaines (minimum) et six mois renouvelables une fois (maximum).
Depuis son ouverture, 32 survivantes et co-victimes y ont trouvé refuge dont une vingtaine ( parmi lesquelles 5 co-victimes) qui ont été hébergées; et une dizaine parmi lesquelles 3 co-victimes n'ayant pas été hébergées mais qui ont bénéficié de conseils, ou d'une assistance médicale.
Les salles spécialisées pour des formations en couture, esthétique, coiffure, sont équipées avec du matériel de dernière génération..
Pour le reste, il nous revient à tous, de travailler à sensibiliser la communauté aux enjeux auxquels les femmes et les enfants sont confrontés, et plaider pour des politiques et des pratiques qui soutiennent leurs droits et besoins.
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