Mali : le carburant, nouvelle arme d'asphyxie des djihadistes au Sahel
Le Mali est confronté à une escalade sécuritaire majeure. La guerre du carburant, orchestrée par les groupes djihadistes, paralyse désormais l'économie et la vie quotidienne, provoquant une alerte internationale.
Face à la dégradation rapide de la situation, le ministère français des Affaires étrangères a appelé ses ressortissants à quitter le Mali « dès que possible » (note diffusée le 7 novembre). La menace, jadis circonscrite aux zones rurales, s'étend désormais jusqu'à Bamako. Les routes nationales, autrefois voies commerciales vitales, sont devenues la « cible d'attaques de groupes terroristes ». Seuls les vols commerciaux sont encore jugés sûrs.
Paris a exprimé sa « grande préoccupation » quant à la sécurité de ses 4 300 ressortissants inscrits au consulat.
Depuis deux mois, les grandes artères du Sud, cruciales pour ce vaste pays enclavé dont le commerce transite à 90% par les ports côtiers, sont bloquées. Le Jama'at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), la branche d'Al-Qaïda au Sahel, a imposé un embargo sur les livraisons de carburant à destination de la capitale. Les convois venant d'Abidjan, Dakar ou Conakry sont attaqués, et les dépôts incendiés.
Cette stratégie n'est pas fortuite. Début septembre 2025, le JNIM a annoncé cet embargo en représailles à une décision du gouvernement malien : l'interdiction de la vente d'essence en bidons. Cette mesure visait à couper les circuits d'approvisionnement des djihadistes.
« C'est cette interdiction qui a mis le feu aux poudres, » explique un expert en questions juridiques et sécuritaires basé à Bamako. « En voulant couper le carburant aux terroristes, le pouvoir a provoqué leur riposte : un blocus national. »
Avec 5 000 à 6 000 combattants, le JNIM ne cherche pas la conquête des grandes villes, mais sa force réside dans sa mobilité et son ancrage rural. Là où l'État est absent – notamment autour de Gao, Tombouctou et Kidal – il s'impose comme une autorité de substitution, appliquant sa justice, ses taxes et son mode de vie (fermeture d'écoles, port du voile obligatoire).
Cet expert insiste : « Le JNIM a compris que l'essence, c'est la clé de tout : sans elle, ni l'économie ni la guerre ne tiennent. » En coupant les routes, les djihadistes frappent au cœur du système étatique.
Les observateurs sont unanimes : « les terroristes n'ont ni les moyens ni la stratégie pour s'emparer de Bamako », une métropole de 3,5 millions d'habitants lourdement militarisée. Leur objectif n'est pas de gouverner, mais de paralyser.
Leur tactique est une stratégie d'usure : une succession de blocus temporaires, de harcèlement de convois, et d'impositions aux villages isolés. « Elle évite l'affrontement direct avec les forces maliennes, mais vise à épuiser l'État, à miner le moral du régime et à saper la confiance des populations, » résume l'expert.
Les Forces armées maliennes (FAMa), déjà éprouvées, peinent à sécuriser un territoire trois fois plus grand que la France. Chaque convoi de citernes nécessite une escorte lourde, mobilisant des ressources considérables et affaiblissant les autres fronts.
De manière inattendue, le blocus s'est partiellement retourné contre ses auteurs. Loin de provoquer un soulèvement, il a resserré les liens de la population. « Les Maliens sont d'une résilience exceptionnelle. (...) Cette résistance pacifique, inattendue, a renforcé la cohésion nationale plutôt qu'elle ne l'a brisée, » observe l'expert.
La France, de son côté, considère la crise actuelle comme l'échec patent de l'alliance avec Moscou : la présence des instructeurs russes (issus de la galaxie Wagner) n'a pas amélioré la sécurité.
Néanmoins, l'expert tempère : aucune armée étrangère n'était préparée à cette guerre asymétrique et hybride qui mêle terrorisme, criminalité transfrontalière et trafics.
La nature profonde de ce conflit a évolué. Historiquement distincts, terrorisme et criminalité ont fusionné au Sahel. « Aujourd'hui, les mêmes acteurs se retrouvent sur plusieurs fronts : le trafic de drogue, la contrebande, les rançons d'otages et les violences armées, » affirme l'expert.
Cette convergence repose sur :
Le psychotrope tramadol est même devenu une monnaie d'échange majeure. Face à ce « système mouvant, fluide, transfrontalier », une armée classique est démunie.
Pour l'expert, le Mali, le Niger et le Burkina Faso sont un « laboratoire à ciel ouvert des guerres hybrides du XXIe siècle ». Le danger dépasse le Sahel : « La contagion est en marche » vers les pays côtiers d'Afrique de l'Ouest.
Si l'asphyxie se poursuit, l'ensemble de la zone UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) sera impactée. Les pays côtiers comme la Côte d'Ivoire (port d'Abidjan) et la Guinée (port de Conakry) dépendent économiquement de Bamako.
L'expert critique la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) : « Au lieu de s'attaquer aux causes structurelles de la crise, elle s'est focalisée sur la légitimité des régimes militaires. »
La priorité devrait être « économique et humanitaire : sécuriser les convois, soutenir les infrastructures, éviter l'effondrement des circuits commerciaux ». L'inaction risque de faire « écrouler toute l'Afrique de l'Ouest » sous le poids combiné du terrorisme, du chaos économique et du repli nationaliste.
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