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Politique

Intentions politiques derrière les mutineries ? Un spécialiste français explique

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Le président ivoirien Alassane Ouattara a nommé hier Daniel Kablan Duncan, à la fonction de vice-président. Puis dans la foulée, Amadou Gon Coulibaly au poste de Premier ministre. Ces changements politiques attendus interviennent au lendemain d'une mutinerie de militaires qui a secoué le pays. Invité de RFI, Christian Bouquet, professeur de géographie politique à l’université de Bordeaux-Montaigne, est spécialiste de l'Afrique de l'Ouest.

RFI : une nouvelle Constitution, un nouveau vice-président, un nouveau Premier ministre... Que cherche le président Ouattara ? Est-ce qu’il prépare sa succession ?

Christian Bouquet : C’est difficile à dire, dans la mesure où il nomme comme vice-président une personnalité du PDCI, donc qui n’est pas de son parti d’origine. On ne voit pas très bien quel tremplin il serait en train de créer. Donc là c’est une question qui pour le moment n’a pas vraiment de réponse. Par contre, il joue le jeu du RHDP, c’est-à-dire de l’union entre les deux partis majoritaires.

Et pourquoi le fait-il ?

C’est bizarre à dire, mais c’est probablement la personnalité politique qui croit le plus en l’union, en la fusion même, des deux partis PDCI et RDR, alors qu’au sein de ces troupes, ça a plutôt tendance à renâcler, au sein des militants un peu aussi. Ce qu’on peut peut-être dire, c’est qu’il se préserve d’instabilité constitutionnelle. C’est-à-dire que s’il venait à disparaître ou à démissionner, il n’y aurait pas ce problème, ce vide constitutionnel qu’il y avait eu au moment de la mort d’Houphouët-Boigny.

Officiellement, tout cela n’a rien à voir avec les dernières mutineries ?

Oui, officiellement. Alors l’histoire peut-être réécrira les choses autrement. Mais pour moi, ça n’a pas joué parce que même les dates auraient pu être bougées. Le déplacement d’Ouattara à Accra n’a pas été modifié. La date et même l’heure de l’élection de Soro, à un moment ils ont pensé à la décaler, puis finalement ils l’ont maintenue. Et puis les nominations à l’élection étaient celles que l’on attendait. Donc comptablement et factuellement, on n’a rien qui nous permette de dire que la mutinerie a eu une incidence sur ce qui se passe depuis le début de la semaine.

Et peut-être justement, c’est ce que le président Ouattara veut que tout le même comprenne ?

C’est probablement l’idée qu’il veut faire prévaloir. Maintenant il ne faudra pas qu’il oublie que derrière tout ça, il y avait quand même du mécontentement.

Ces mutineries ont quand même déclenché des changements à la tête de l’armée. Le général Soumaïla Bakayoko, notamment, est limogé. Est-ce que ce n’était pas l’effet recherché par les mutins est par ceux qui les soutiennent ?

A vrai dire, on ne sait pas très bien qui soutenait les mutins. On est sûr qu’il y avait une organisation derrière ça, parce qu’on ne peut pas faire sortir de plusieurs casernes à la fois et en même temps autant de soldats mécontents. Mais maintenant, s’ils recherchaient simplement que l’on change le chef d’état-major général, le patron de la gendarmerie et le patron de la police, c’est qu’ils avaient probablement de bonnes raisons de le souhaiter. Ça n’avait pas été fait en 2014.

Est-ce qu’il y avait d’autres intentions, des intentions politiques derrière ces mutineries ?

C’est l’histoire qui nous le dira. Evidemment, tout le monde pensait qu’il y avait peut-être la main de celui qui passe toujours pour responsable de ce qui se produit au nord, c’est-à-dire Guillaume Soro. Mais comme on a vu qu’en même temps Guillaume Soro préparait bel et bien sa propre succession à la tête de l’Assemblée nationale, la mutinerie n’a pas eu beaucoup d’incidence, je pense, sur son propre destin. Donc pour le moment on n’a que des conjectures dans ce domaine.

Pourquoi le chef d’état-major, le général Soumaïla Bakayoko, ne s’était pas rendu à Bouaké ?

On pourrait même compléter votre question par : « Pourquoi est-ce que c’est le colonel Wattao [de son vrai nom Issiaka Ouattara], c’est-à-dire un ancien "com'zone" très influent auprès des anciens membres des Forces nouvelles, qui a accompagné le ministre de la Défense ? » Eh bien la réponse est un peu dans la question. C’est qu’une partie du problème se trouvait chez les membres, les anciens membres des Forces nouvelles, qu’il fallait quelqu’un qui dispose d’une autorité suffisante pour les rappeler à leur devoir de fidélité. Je suis d’accord pour dire que ce n’est pas très, très bon pour l’image générale de la Côte d’Ivoire et pour l’image de l’armée ivoirienne, mais pour le moment le contexte est celui-là. On ne s’y attendait pas. On ne s’y attendait plus en tout cas en Côte d’Ivoire.
On avait tort d’avoir oublié si vite qu’il y avait eu dix années pendant lesquelles l’armée avait pris quelques libertés avec ses valeurs et notamment avec des grades autoproclamés, avec des manières de faire qui n’étaient pas tout à fait républicaines… Il faut, en effet, maintenant, revenir à l’orthodoxie et revenir aux fondamentaux.

Et ne faut-il pas y voir aussi un avertissement envoyé au pouvoir, un message qui dirait que la base doit être écoutée, et pas seulement la base de l’armée ?

Tout à fait. C’est exactement le message qu’il faudrait que les autorités entendent, au travers les voix des mutins et nonobstant le fait qu’ils n’auraient pas dû sortir des casernes pour se faire entendre. Mais vous avez tout un contexte de mécontentement qui s’est manifesté finalement par le silence des urnes. Si l’on regarde bien les dernières consultations électorales, les gens ne sont pas allés voter autant qu’on l’aurait souhaité parce qu’il y a une forme de grogne sociale à l’intérieur du pays, qui vient du fait que la redistribution de la richesse – que nul ne nie, pour l’économie ivoirienne – se fait mal et tout le monde espère que la nouvelle équipe gouvernementale aura du sang neuf, qui aura à cœur précisément de régler ce problème.

Le limogeage des trois chefs militaires peut être un bon signal parce qu’on ne l’avait pas vu en 2014. Cette fois-ci, des mesures fermes ont été prises. Si la composition du nouveau gouvernement va dans le même sens et si tout le monde s’attache à ce genre de chantier, peut-être qu’il y aura moins de grogne sociale et plus de stabilité politique.

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