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Afrique

En Algérie, le cri de colère de la jeunesse

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Les Algériens ont défilé massivement et pacifiquement, avec humour et amour-propre, contre le 5ème mandat de leur président, un Bouteflika de 82 ans, sous cadre, cloué tout comme leur pays. Et ils ont eu gain de cause. Vraiment ?

Dans les rues d’Alger, d’Oran, de Constantine, de Bejaïa, de Ghardaïa et d’ailleurs, les messages feutrés sur les pancartes ont de quoi faire sourire. « Nous ne voulons pas du cadre ni des clous qui le fixent » ; « Pas de Rambo 5 » ; un panneau « Cédez le passage », « Le FLN au musée des dinosaures ». Ces cartons rouges presque arbitraux marquent surtout la frénésie d’un peuple qui veut s’affranchir sans heurts de ce qu’il nomme « le système ». Car dans le flou artistique algérien, « on l’aime bien Boutef, même encadré ». Le portrait officiel qui remplace le visage officieux a même obtenu un soutien de taille, selon le satirique El Manchar, celui de Mouna Louisa, Joconde trempée à la sauce locale. On promène le cadre, on parle au cadre, on écoute le cadre. L’humour contre le tragique.

"Libérons Boutef, il est séquestré !"

L’Algérie, ce sont deux profondes cicatrices que les jeunes de moins de 20 ans n’ont pas connues : la guerre pour l’indépendance en 1962 et la décennie noire (1991-2002). Or l’homme qui fait lien entre ces deux blessures est précisément Abdelaziz Bouteflika, d’où son aura et le respect qu’on lui témoigne depuis son retour en 1999. La mémoire parle pour lui : en 1974, jeune ministre, il a amené Yasser Arafat à l’Onu et 30 ans plus tard, en vieux président, la paix et la réconciliation nationale. Entre autres. Seulement voilà, passé les bons sentiments, le ventre a ses exigences. Si les Algériens ne voient pas d’avenir pour leur président, c’est qu’ils ne le voient pas d’abord pour eux-mêmes. « Ce n’est pas une question de compétences, mais de capacité. On respecte à 60 ans, on respecte même à 70, mais à 80, on conteste. L’Algérie, ce n’est pas le Zimbabwe. »

En 2013, un AVC met Bouteflika, l’homme du consensus, sur une touche dorée. Raillé –« une momie », « un presque vivant »–, il ne fait pas que survivre pour décider, il fait « survivre » ceux qui décident à sa place. Et c’est bien là que le bât blesse. Ce n’est pas tant son départ ou plus bienveillamment son repos qui est réclamé, mais bel et bien la fin d’un système. Le 5ème mandat tant décrié est celui d’un petit cercle dont on a peine à voir le centre ni les contours, une dizaine de personnes paraît-il, bref un clan. Nul ne sait qui gouverne exactement, qui tire le fil. Alors, « contre ce fil invisible, on défile visible », c’est la seule option d’un peuple mis sous ignorance et d’un président mis sous tutelle. Madjid, ingénieur diplômé et chômeur de son état, croit avoir trouvé la bonne formule : « Libérons Boutef, il est séquestré ! »

"Facile de convaincre quand les syndicalistes et les patrons se confondent"

Le ras-le-bol est généralisé, politique, économique, social, voire affectif car on ne peut se résoudre à cohabiter avec une image. La corruption s’est répandue comme une gangrène : elle est l’huile qui fait tourner les rouages du système, lequel fonctionne en réseau complexe, nomme d’une main avant de limoger de l’autre (Sellal, l’ancien premier ministre et directeur de campagne vient d’en faire les frais) et se montre de plus en plus gourmand. Dehbia, grand-mère bougiote, se veut proverbiale : « Il a baisé la main du roi pour entrer dans la cour, mais depuis que le roi est malade, il doit baiser les pieds des princes pour entrer chez le roi. » Facile de s’enrichir quand le pétrole ne fait pas que se vendre, mais achète la paix. Facile de convaincre quand les syndicalistes et les patrons se confondent. Au slogan historique du FLN : « Pour le peuple et par le peuple », on a ainsi fini par répondre : « Pour le pouvoir et c’est tout. »

Piqués au nif, les Algériens s’accrochent si bien à leur drapeau qu’il est réputé colorer leurs doigts en vert-blanc-rouge. Qu’ils critiquent leur président est normal, mais que l’étranger le fasse, pas question. « La fierté est plus dangereuse que la misère, parce qu’elle la fait oublier. On est peut-être des moutons chez nous, mais dehors on ne bêle pas, on rugit », prévient Malek, chauffeur de taxi. Les premiers cris de révolte sont d’ailleurs partis des gradins des stades, lieu de prédilection des torses bombés et des gorges nouées. Au fond, selon Malek, le président n’est pas le seul sur une chaise roulante, le peuple l’est aussi. « Elle est là notre double peine. » Avec cette nuance cependant : le peuple, lui, peut se lever et marcher. « Et c’est quand même plus digne que de prendre une chaloupe et aller en face ! Crever pour crever, autant le faire chez moi… »

Bourrer les crânes et les urnes

Les Algériens ont toujours été férus de symboles et slogans. Le « One, two, three, viva l’Algérie » en témoigne tout comme leur fanion brandi d’un bout à l’autre de la planète. Au fait de l’actualité, ils lisent, se renseignent, se connectent, affichent leurs grands amours pour la Palestine, Poutine, la Syrie de Bachar ou l’ami chinois. Très engagés dans les grandes causes, ils ont pourtant délaissé la leur : l’assiette reste vide et le moral en berne. Politisés, seulement 1 % d’entre eux ont une carte de membre d’un parti. Le chiffre pourtant sérieux est aussitôt mouliné par le quidam : « 1 %, dont 0,99 pour le FLN ! » L’opposition, il est vrai, est encore vue comme un pendant du parti unique qui s’agite en attendant l’heure de la curée.

Leur participation aux élections est d’ailleurs très faible, 15 % dit la rue, le double affirment les autorités. Une abstention qui expliquerait que Bouteflika ait toujours été élu à 80-90 % des voix. « Chacun a le droit de défendre son candidat et d’être contre tout autre candidat, les urnes trancheront de manière pacifique et civilisée », a déclaré le premier ministre Ahmed Ouyahia. « Bien sûr, ironise Nissa, jolie Constantinoise de 46 ans… Bourrer les crânes et les urnes, ça va de pair. On a toujours voté librement, ce sont les urnes qui sont enchaînées. » D’ailleurs, si on se dit incapables de donner les noms des candidats, on affirme que le président est déjà élu, et son pourcentage fixé à la virgule près. « Rassurez-vous, le pouvoir n’est pas autoritaire, il est juste démocrate par anticipation », se moque-t-elle encore.

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